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septembre 16, 2025A notre époque où les consommateurs se posent moultes questions quant au devenir de leur alimentation, je voulais vous parler d’un thème qui me tient particulièrement à cœur, à moi, cuisinier affirmé et surtout « Viandard » ; de cette étrange relation qui semble s’instaurer entre mon humble personne et ce règne alimentaire végétal de temps à autres…
En effet, dans notre société, nous remarquons de plus en plus souvent une montée en puissance d’une orientation alimentaire végétarienne. Quelle en est la raison ?
En parcourant mes vieux grimoires culinaires, j’ai découvert avec surprise que nous n’avions pas mangé aussi peu de légumes depuis si peu de temps. De nombreux anciens livres de cuisine mettent en avant une consommation de légumes tout à fait banalisée. Il n’en fallait pas plus pour me pencher sur cette situation et essayer de comprendre la véritable raison de cette situation, semble-t-il très moderne.
Je pense que c’est au sortir de la dernière mondiale que la légende populaire a prêté à la consommation de viande, des vertus insoupçonnables de force, de savoir vivre, de puissance et que sais-je encore. Il est vrai que notre histoire alimentaire a largement contribué à entretenir cette idée que la viande avait entre autres vertus, celle de soigner. Depuis le Moyen Age, la vie quotidienne est ordonnancée par de longues séries de jours gras certes, mais aussi de jours maigres, où la viande était proscrite car elle pouvait échauffer l’esprit.
A cette époque, la vie des hommes est gérée par la religion. L’église ordonnance donc une sorte de hiérarchie des végétaux en fonction de leur proximité avec le ciel : plus un végétal est distant du sol plus il est pur et proche du divin. C’est ainsi que de nombreux légumes appartenant aux racines ou aux bulbes, tel que l’oignon, se voient attribuer des vertus moindres par rapport aux fruits poussant dans les arbres.
Quel choix étrange sachant qu’à cette époque, on se soigne par son alimentation et donc par ces magnifiques végétaux. Charlemagne l’avait d’ailleurs fort bien compris en faisant rédiger un splendide recueil « Le capitulaire de Villis » où sont référencés près de 80 végétaux alimentaires (Légumes, fruits et herbes) avec leurs vertus médicinales mais aussi leurs avantages culinaires et gustatifs !
Cette situation va perdurer jusqu’à la deuxième partie du XVIIème siècle avec la passion que va vouer le roi de France Louis XIV aux légumes. Une passion dévorante qui va générer à Versailles, une véritable armée de jardiniers sous la houlette de La Quintinie, Maitre jardinier, qui travailleront au service du roi afin que celui-ci puisse impressionner ainsi sa cour mais aussi ses invités politiques et Dieu sait si cela était un atout à cette époque où les guerres ravageaient les campagnes. On trouvait même des fraises sur la table du roi au mois de décembre ; pensez-donc !
Dès lors, les légumes vont accompagner notre gastronomie sous le regard bienveillant d’illustres chefs de cuisine comme Carème, Massialot, Marin, Escoffier, Dubois, Bernard, Montagné et tant d’autres encore jusqu’aux deux conflits mondiaux qui, une fois achevés, vont reléguer nos bons légumes à un statut de second rôle.
A la fin de la guerre et pendant quelques décennies, un repas sans viande est donc devenu une sorte de punition triste et ennuyeuse, qui pourrait même révéler un quelconque manque de savoir vivre et de respect pour le convive que l’on reçoit. Imaginez la scène :
«-Dimanche, nous recevons les Dupond à midi. On leur fait un risotto aux légumes ?
-Tu plaisantes ?… On va faire un bon rôti ! »
Je vous accorde que cet exemple est un peu caricatural mais ne semble pas trop éloigné d’une vérité qui nous habite parfois sans s’en rendre compte.
Heureusement, depuis quelques temps, je suis surpris de voir que le végétarisme reprend lentement ses lettres de noblesse, surtout dans les restaurants gastronomiques et il ne semble plus pensable pour nous autres chefs de cuisine, de créer une carte de mets, sans veiller à un équilibre avec des mets végétariens. Il suffit aussi de découvrir les photos culinaires proposées par tous nos chefs passionnés pour réaliser la passion qui les anime à cuisiner des légumes et tout l’intérêt de cuisiner ces aliments merveilleux.
En effet, savez-vous qu’un cuisinier qui créé une recette doit tenir de nombreux paramètres ?
La saison, la quantité, le prix, mais aussi les couleurs sur l’assiette. Sans le savoir, notre inspiration nous guide vers des coloris harmonieux et équilibrés qui sont très souvent favorisées par les légumes.
Dans cette dynamique, la passion de nos maitres jardiniers, retrouve de vieilles variétés tellement aromatiques, gouteuses et colorées. De ces légumes oubliés et sacrifiés sur l’hôtel de la rentabilité au XIXème siècle, lors de la mécanisation de l’agriculture. Par exemple, l’arroche verte ou rouge était l’ancêtre de l’épinard mais laissa sa place car mal pratique pour une récolte mécanisée.
A présent, nos chefs de cuisine, se plaisent à jouer de ces saveurs et de ces textures végétales qui impulsent tellement de créativité mais aussi de technique culinaire. Les légumes sont des êtres vivants donc très souvent fragiles. Nos artisans se doivent donc de maitriser les méthodes de cuisson afin de les garder le plus authentiques possibles, mais aussi le plus savoureux possible par la texture et les couleurs. Quoi de plus appétissant qu’un légume d’un vert éclatant ou d’un rouge vif ?
Au fil du temps, ces techniques se découvrent ou se redécouvrent un peu comme une discussion intemporelle que j’ai pu avoir dans un salon d’un palace genevois avec Thierry Marx que l’on ne présente plus. Celui-ci m’expliqua avec beaucoup de soin, la raison pour laquelle, la recette des carottes Vichy fut mise au point. Cela fut ensuite une évidence pour moi !
Les carottes sont des racines que l’on classe souvent dans les légumes de garde, c’est-à-dire des légumes que l’on peut conserver une longue période d’hiver. D’après le chef Marx, la raison de les cuire dans de l’eau minérale comme l’eau de Vichy est d’attendrir les fibres naturelles du légume qui se sont durcis pendant cette longue période de conservation grâce aux sels minéraux naturellement contenus dans l’eau de Vichy, d’où ma compréhension enfin que cette recette ait sa raison d’être proposée à la fin de l’hiver !
Les légumes étant fragiles, il convient de les apprêter avec beaucoup d’attention et de douceur. La méthode de cuisson est importante car elle va conditionner le légume en une texture appropriée et savoureuse. Il convient donc de privilégier des méthodes de cuisson douce comme étuver ou glacer pour obtenir un légume croquant mais pas cru. Cette technique n’est pas facile, c’est pourquoi je vous conseille de précuire vos légumes : vous n’aurez plus qu’à les finir de cuire quelques instants à la dernière minute et vous prévenir un maintien au chaud prolongé qui aurait pour résultat de déguster un légume trop cuit et sans texture appétissante.
Cette technique de précuire les légumes est d’ailleurs communément utilisée pour les légumes verts tels que les épinards par exemple. Il convient de les blanchir, c’est-à-dire de les cuire quelques instants dans de l’eau salée en ébullition et de stopper le plus rapidement possible la cuisson en les plongeant, sans l’eau de cuisson, dans de l’eau glacée. Cette opération a pour avantage de fixer la couleur vert vif malgré une régénération avant le repas.
Ces techniques de cuisson sont légions dans notre patrimoine culinaire et le volume conséquent des nombreux ouvrages culinaires en sont les témoins vibrants. C’est pourquoi, je voudrais terminer ce modeste article sur une note poétique et rêveuse en vous parlant d’un dernier point qui me tient à cœur : l’invitation au voyage et surtout notre 6ème sens!
Un légume, c’est d’abord une histoire, qui remonte à la nuit des temps, en ces temps où l’homme se sédentarise et devient agriculteur. En effet, on a tord de croire que notre bon vieux poireau est de chez nous. Qui pourrait imaginer que celui-ci a traversé de nombreuses régions hostiles et fait ainsi un très long voyage depuis l’Asie centrale ?
Comment ne pas changer notre vision alimentaire en découvrant que le brocoli est un légume mis au point par les italiens il y a de cela fort longtemps, à force de sélection de croisements divers ? La conséquence la plus flagrante en est le romanesco qui est le croisement entre le chou-fleur et le brocoli dont raffolait tant Catherine de Médicis !
Sans parler de la carotte orange qui fait partie de notre patrimoine culinaire. Qui pourrait imaginer qu’à l’origine, elle était blanchâtre et dure mais se conservait bien. C’est d’ailleurs ce qu’il l’a sauvée ! Originaire de Syrie, elle fut travaillée, sélectionnée, manipulée au XVIème dans les serres hollandaises où ces jardiniers hors du commun voulaient rendre ainsi hommage aux Princes d’Orange, de la Maison d’Orange qui était la famille régnante en Hollande.
Arrivé au terme de ces quelques lignes, je vous invite à continuer cette aventure végétale en découvrant l’origine et le chemin parcouru par votre légume préféré jusqu’à votre assiette. Peut-être y ferez-vous une magnifique rencontre de vie, un peu comme je le vis chaque jour de ma vie de cuisinier passionné.
Philippe Ligron


